Qui est François
Bellenger ?
Présentation générale
Texte de Raymond Bélanger
Avant d'analyser en détail la vie de François
Bellenger, il nous semble important dans un premier temps d'en brosser un
portrait à partir de certains thèmes généraux qui le caractérisent vraiment.
Au lieu de relater successivement les événements de sa vie, nous choisissons
de les regrouper autour de certains axes significatifs. Cette présentation
générale, puisant dans diverses sources, tentent de répondre aux questions
suivantes. Qui est François Bellenger? Quel portrait
d'ensemble pouvons-nous tracer de lui?
Il nous apparaît, en plus de la question des origines et de son réseau social,
comme un colonisateur, un homme public, un plaideur et un colon relativement à
l'aise à la fin de sa vie. Enfin, nous formulons, comme dernier trait de sa
personnalité, l'hypothèse que François, à partir de 1660, ambitionnait
fortement de devenir seigneur et que son rêve s'est réalisé.
Ce tableau de notre ancêtre dont plus de 65,000
descendants, tant au Canada qu'à l'étranger, portent aujourd'hui son nom nous
semble assez exhaustif. Ce nom de Bellenger, les "descendants de l'ours"
(bar-ingen en normand) s'est transformé progressivement en Bélanger. François
signera dans la plupart des documents notariés ce patronyme avec deux L et un
E.
Au-delà du nom, quel est le personnage ? Une
première question concerne ses origines. François
Bellenger vient-il de la Normandie ou du Perche ? Il est difficile
de trancher définitivement entre ces deux provinces de la France. Il en est de
même pour son village natal.Vient-il de Touques, de Saint-Pierre de Sées, de
Lisieux ? L'acte de confirmation de 1660 conservé aux archives du Séminaire de
Québec le dit originaire de l'évêché de Lisieux, Normandie. Par ailleurs, un
extrait de baptême trouvé dans les archives de la paroisse de Saint-Pierre-de-Sées,
Orne, mentionne le 12 octobre 1612 comme date de la naissance. À cette époque,
le Perche intégrait l'Orne alors qu'aujourd'hui ce département fait partie de
la Normandie puisque le Perche n'est plus une dénomination utilisée.
En 1634, sensible à la promesse des recruteurs
de donner de grandes terres à ceux qui immigreront en Nouvelle-France,
François signe probablement à Mortagne un contrat de trois ans avec Robert
Giffard, seigneur de Beauport. Le 27 juin 1636, il signe
son contrat de mariage avec Marie Guyon, alors âgée de 12 ans et
fille de Jean Guyon et de Mathurine Robin. Née dans la paroisse Saint-Jean de
Mortagne et la quatrième d'une famille de dix, elle a fait la traversée en
1634 ou 1636. Ils se marieront l'année suivante le 12 juillet 1637 en l'église
de Notre-Dame-de-Recouvrance. Douze enfants naîtront de ce mariage. Sauf ceux
qui sont nés après 1658, année de la construction de l'église de
Château-Richer, tous seront baptisés à Québec.
En plus d'être maçon
de métier, François Bellenger, c'est aussi un défricheur et un colonisateur
courageux qui, pour assurer sa subsistance et celle de sa famille,
a dû transformer sa terre de Château-Richer et celle de Bonsecours en une
terre cultivable. Bûcher, dessoucher, ensemencer, bref gagner chaque pied de
terre avec des instruments et des technologies réduites et peu efficaces. Il
faut surveiller pendant le travail des champs, fusil à l'épaule, les Iroquois
et les Agniers qui "viennent en renards, attaquent en lions, fuient en
oiseaux". Ce travail de défrichement accapara notre ancêtre pendant
plusieurs années. Ce furent les déboisements du domaine de la Seigneurie de
Beauport de 1634 à 1637 et de sa terre, lot 58, de Château-Richer à partir de
1640, en association pendant trois ans avec Massé Gravel, son voisin.
Ce défricheur est aussi un " bâtisseur "
d'institutions.
Qui était François Bellenger comme homme public ?
Il a gagné vite la confiance de ses concitoyens qui le nommèrent, en raison de
ses qualités d'administrateur et de gestionnaire, syndic (1653), marguillier
(1658-1662), curateur des biens d'Olivier Le Tardif (1662), capitaine de
milice (1666), voire même consultant en mesure foncière et immobilière. À
partir de 1653, François Bellenger est de plus en plus présent sur la place
publique. Par son engagement actif et généreux dans les institutions, il a
participé, à sa manière, à la construction de ce pays. De nombreuses
générations futures l'imiteront et s'engageront socialement, politiquement.
Aborder notre ancêtre
c'est le présenter également comme un plaideur acharné à défendre ses idées,
soit devant les notaires, soit devant le Conseil Souverain, l'instance suprême
du pays en matière de justice. En effet, ses nombreux démêlés avec ses voisins
et ses nombreux procès ajoutent d'autres traits de caractère légendaires : un
François Bellenger rarement dépourvu d'arguments et de réplique. Les années
1670 à 1674 sont marquées par de nombreux procès. En 1670, il ajuste ses
comptes avec son associé et son beau-frère, Simon Guyon, devant le Conseil
Souverain qui l'oblige à rembourser ce dernier. Ses revers avec Massé Gravel
au sujet de bornage de terrain (1674) nous le montrent certes comme un
défenseur obstiné de ses droits, respectueux des sentences, mais aussi comme
un homme entêté, orgueilleux, tenace, voire téméraire, dans ses
revendications. Pour le punir de son audace, le Conseil souverain en 1670
l'oblige à la suite d'un litige encore avec Massé Gravel d'aller présenter des
excuses à l'intendant. Également, la haute autorité en matière de justice
l'oblige à rembourser les frais de cour et le condamne à trois livres d'amende
payables à l'hôpital.
Ce portrait de notre ancêtre serait incomplet
si nous ne mentionnions pas son réseau social
que nous révèlent d'une part les parrains et marraines aux baptêmes des
enfants et d'autre part les témoins aux contrats de mariage. Ce réseau social
se tisse à travers de nombreuses couches de la société de son temps allant de
la classe politique, économique, religieuse, bourgeoise, voire jusqu'au peuple
amérindien. Le 18 septembre 1674, c'est Messire Louis de Buade de Frontenac,
Gouverneur, qui signe comme témoin au contrat de mariage de sa fille Mathurine
avec Jean Maheu. De nombreux seigneurs (Jacques de Chambly), notaire et
greffier (Paul Vachon) apposent aussi leur signature sur ce contrat. Le plus
riche commerçant de l'époque, Charles-Aubert de la Chesnaye, lui fait
confiance en lui prêtant de nombreuses fois de l'argent pour améliorer ses
bâtiments. Son crédit, dirions-nous aujourd'hui, était excellent.
Nous ne pouvons pas
connaître notre ancêtre sans questionner sa fortune et son niveau de vie.
Les divers recensements de 1666, de 1667, de 1681 décrivant ses biens nous le
présentent, selon les critères de richesse de l'époque, comme un colon à
l'aise. En 1666, il paie des études à sa fille Mathurine chez les Ursulines de
Québec et il engage sur sa ferme deux domestiques. En 1667, il possède 13
bestiaux et 50 arpents de terre sont en valeur. En 1681, à la jeune seigneurie
de Bonsecours concédée en 1677, figurent sur la liste du recensement trois
domestiques, cinq fusils, trois bêtes à corne, quatre arpents de terre en
valeur. Pour évaluer adéquatement la fortune de notre ancêtre, il serait
nécessaire de faire le relevé de ses dettes actives (ce qui lui est dû) et
passives (ce qu'il doit), de ses biens meubles et immeubles. Un tel bilan
financier exigerait aussi que soient additionnées toutes les dots versées à
ses six filles lors de leur mariage. Ses indicateurs économiques exigeraient
une étude plus détaillée. Après 53 ans de durs labeurs en terre d'Amérique, le
rêve de richesse de 1634 était-il réalisé? Valait-il la peine d'immigrer ? La
réponse est oui.
Enfin, la réponse à la
question posée au tout début de savoir qui était François Bellenger vient de
Frontenac et de Duchesneau, respectivement gouverneur et intendant de la
colonie, qui, pour le récompenser, lui donne à l'âge de 64 ans la
Seigneurie de Bonsecours. De simple maçon à son arrivée en 1634, le voilà
promu Seigneur en juillet 1677. Enfin, le vieux rêve de 1660 où il signait à
l'époque " Seigneur en partye de la coste Beaupré " se réalise. Le geste du
Roi de France, par l'intermédiaire de ses représentants, était éloquent. Il
fallait y voir surtout, au-delà de la valeur en argent de cette terre pour lui
et ses descendants, une confirmation sociale et politique de ses qualités et
de sa valeur. Si plusieurs ont obtenu des seigneuries en les achetant,
François obtint la sienne grâce à son mérite. Ce titre n'est pas uniquement
honorifique, mais représente surtout un défi encore plus grand que celui du
début. Il sera principalement celui de son fils Louis et de son épouse
Marguerite Le François. François et Marie Guyon se donnèrent en 1685 à leur
fils Jacques. François décédera entre cette date et l'hiver 1687, année où
Marie Guyon ratifiera de nouveau cette donation. Elle sera inhumée le premier
septembre 1696 à Cap-Saint-Ignace à l'âge d'environ 78 ans, nous dit son acte
de sépulture.
En conclusion, une dernière question :
quel est l'héritage de François et de Marie Guyon ? Quelle image
conserveront leurs enfants et leurs descendants après plus de trois siècles et
demi ? Il laisse un nom et une image respectables. Connaître cet homme, c'est
l'aborder à partir de ces "grands axes routiers" universels qui nous ont
permis de structurer le temps et l'espace d'une vie, celle de François
Bellenger. Il s'agit maintenant d'analyser plus en détail ces aspects.