François immigrant
Un rêve qui devient
réalité
Texte de Raymond Bélanger
En quelle année François Bellenger et Marie Guyon ont-ils
immigré en Nouvelle-France?
Si leurs
présences en 1636 est confirmée par des documents notariés, certains auteurs (Cambray)
soutiennent qu'ils seraient arrivés en 1634.
Le contrat d'engagement de Jean Guyon envers Giffard signé à Mortagne en 1634
affirme que son épouse et ses enfants, sauf un de leurs fils, rejoindront leur
père en 1636.
"…. mesme de faire passer par
le dit Sieur de Beauport a ses dépens les femmes des Guion et Cloutier avecq
leurs autres enfants dans l'année que l'on comptera mil six cent trente six,
pour les venir au dit pais et les y nourrir, et entretenir leurs dites femmes
et enfants…. "
La plupart des auteurs (Dion, Trudel, Léonidas
Bélanger) s'en tiennent à ce contrat pour fixer l'arrivée de Marie Guyon en
1636. Par ailleurs, Cambray, dans son volume sur Giffard et les origines de la
Nouvelle France, affirme, sans preuve notariale, que ce contrat a été modifié
à la dernière minute.
"…La nouvelle que Giffard
avait passée des contrats avantageux avec Le Boyer et Rosée-Cheffaut se
répandit rapidement à Mortagne et les environs, ce qui contribua à accentuer
le mouvement migratoire. Or Madame Giffard, usant de son influence auprès des
épouses Cloutier et Guyon, des deux Boucher, ou bien encore, un arrangement
pécuniaire verbal ou sous seing-privé survint-il entre les deux parties, ou
bien encore sommes-nous en présence d'un revirement dans l'esprit de ces dames
qui ne purent se résigner à rester seules à Mortagne, ainsi séparés de leurs
maris, toujours est-il que nous croyons que …….. ce premier contingent comprit
et se composa des familles au complet de Giffard, Guyon, Cloutier, des deux
Boucher…. " (p.42).
Malgré la perte du contrat d'engagement de
François Bellenger, nous fixons pour les raisons suivantes son arrivée en
1634. En nous basant d'une part sur son contrat de mariage de 1636 et de son
mariage religieux de 1637 et d'autre part sur le fait que les engagés de
trente-six mois ne pouvaient jouir de leur liberté qu'après la fin de leur
contrat d'engagement, il nous semble plus plausible que 1634 soit la date
d'arrivée de François Bellenger. Également, il nous apparaît invraisemblable
que des nouveaux arrivants de juin 1636, si c'est le cas pour François et
Marie, puissent passer un contrat de mariage le 27 juillet, un mois et demi
après leur arrivée. Ceci ne contredit pas l'affirmation de Trudel qui fixe,
comme non certaine, l'arrivée de François en 1636.
Le désir de posséder de grandes terres fut sans
doute la motivation principale des premiers colons pour se lancer dans cette
périlleuse aventure de la Nouvelle-France. Qui sont ces valeureux colons et
ces courageuses femmes qui, après leurs adieux au début d'avril 1634 en
l'église Saint-Jean et Notre-Dame de Mortagne, composent ce contingent
percheron qui fait partie des cent immigrants dont 42 furent identifiés par
Marcel Trudel dans son volume Catalogue des Immigrants. Faisant suite aux
groupes de 1632 de 45 personnes dont 12 sont identifiées, de 1633 de 200 dont
23 sont identifiées, ils s'embarqueront, au port de Dieppe, sur une flottille
de quatre vaisseaux sous le commandement de Duplessis-Bochart et des
capitaines Nesle, Bontemps, Deville, enfin de Lormel qui dirige un navire
anglais capturé par la flotte en route.
De nombreux percherons, normands forment la
majorité des passagers. Contrairement à Cambray, Trudel, même si l'arrivée de
certains est probable, semble s'appuyer uniquement sur des documents officiels
pour identifier la crue de 1634.
C'est pourquoi, les familles complètes des
Guyon, des Cloutier, des Boucher s'embarquent, comme prévu au contrat
d'engagement, en 1636. Du Perche, en plus du recruteur Giffard accompagné de
sa femme Marie Regnouard et ses deux fils Marie et Charles, il y a les engagés
Zacharie Cloutier et son fils Zacharie, Jean Guyon et son aîné Jean.
S'embarquent aussi Marin Boucher et son fils François, Noël Langlois et son
épouse Françoise Garnier. Figurent aussi parmi les passagers percherons Jean
Côté, Jean Juchereau de Maure et son épouse Marie Langlois et leurs quatre
enfants : Jean (de la Ferté), Nicolas (de Saint-Denis), Geneviève, Noël (des
Chastelets). S'ajoute la famille de Louis Henry Pinguet : Louise Lousche, son
épouse et les enfants Françoise, Pierre. Enfin, Charles Pierre s'engage pour
deux ans envers Noël Juchereau des Chastelets.
Font partie de la traversée de 1634 des
personnages importants comme Laviolette fondateur de Trois-Rivières et
Bras-de-fer- de Châteaufort, lieutenant de Champlain qui assurera l'intérim à
la mort de ce dernier. Des gens d'église qui, par leur zèle missionnaire,
marqueront beaucoup la jeune colonie, accompagnent les passagers : Jacques
Buteux assassiné par les Attikamèques du Saint-Maurice en 1652, Charles
Lalemant qui bénira en 1637 le mariage de François et de Marie Guyon, Jean
Liégeois, frère jésuite et le curé Le Sueur de Saint-Sauveur. Ils viennent
soutenir les efforts d'évangélisation des Paul Le Jeune, de Nouë et Burel
arrivés en 1632, des Jean de Brébeuf, des Daniel, des Dovost, des Massé
arrivés en 1633.
Après une traversée longue mais assez heureuse, sans tempête, la flottille
atteint Tadoussac à la fin de mai.
" ….Le 31 mai, nous
disent les Relations des Jésuites, arriva une chaloupe de Tadoussac apportant
la nouvelle que trois vaisseaux de Messieurs les Cent Associés étaient
arrivés. On attendait le quatrième commandé par M. Duplessis-Bochart qui loua
le capitaine Bontemps pour s'être rendu fort recommandable en la prise du
navire anglais. "
Le quatre juin, jour de la
Pentecôte, Robert Giffard et sa colonie percheronne arrivèrent à Québec.
François Bellenger,
jeune aventurier alors âgé de 22 ans, dut s'émerveiller de ce nouveau
paysage grandiose le long des côtes de ce grand fleuve. Des deux côtés, Lévis
et Beauport s'étageaient en gradins. Le sault Montmorency se détachait de la
forêt vierge. À la Canardière, il pouvait observer quelques déserts où les
Indiens, au temps de Champlain, avaient déjà semé le blé. Également, il écoute
Robert Giffard raconter ses nombreux souvenirs de ses premiers voyages de 1622
et 1628.
Dans la vallée de la rivière Saint-Charles, sur
la rive droite, se dessinait, dans la seigneurie des Anges, la maison-mère
des Jésuites arrivés en 1625. Du côté sud, il y avait le monastère des
Récollets arrivés en 1615 mais qui avaient quitté en 1628. À cap Tourmente,
François pourra constater plus tard, lorsqu'il deviendra propriétaire d'une
terre en 1659, les ruines d'un établissement comprenant deux logis (une
chapelle et une étable) démoli en 1628 par les frères Kirke.
Au pied du Cap Diamant où se trouvait la
basse-ville, quelques bâtiments, signes de la première civilisation en
Amérique, accueillirent les passagers. Là, à l'abitation construite en 1608 et
servant maintenant de baraques et de logis, Champlain, en compagnie des
Jésuites et des officiers d'administration, les reçut. En cette Place Royale,
l'église des Récollets de 1615, quelque peu délabrée, rappelait à chacun
combien la colonisation était l'œuvre de missionnaires et de mystiques.
François dut alors emprunter le chemin
rudimentaire reliant la basse-ville et la haute-ville qui, plus tard,
deviendra la côte de la Montagne. Le long de celle-ci, se trouvait,
depuis 1608,
le cimetière où reposeront ses beaux-parents, Jean Guyon en 1663 et
Mathurine Robin en 1662.
À la haute-ville, il y avait le Fort Saint-Louis
érigé à l'endroit où se trouve aujourd'hui le monument de Champlain. Là,
logeaient le gouverneur et ses officiers. Dans le quadrilatère formé par les
rues Buade, du Fort, Sainte Anne et du Trésor s'élevaient
le logis des Jésuites et l'église Notre-Dame-de-Recouvrance, construite
en 1633, agrandie en 1636 et brûlée en 1640. Sur le site actuel du petit
Séminaire, François foula les terres des premiers colons de la
Nouvelle-France :
celles de Louis Hébert et Marie Rollet (1617), de Couillard marié
à Guillemette Hébert (1626), de Huboust, ancien engagé des de Caën marié en
1626 à Marie Rollet, veuve de Louis Hébert. Sur la rue Sainte-Anne, la
maison des Cent Associés, les grands responsables de la colonie qui payent
le salaire du gouverneur et entretiennent à leurs frais les religieux, était
le centre des décisions politiques et économiques.
Lorsque François mit pied-à-terre en 1634, la
population totale de la Nouvelle-France atteignait à peine 250 personnes.
Cette colonie percheronne de 43 immigrants s'ajoutaient aux 21 restés en 1628,
aux 40 arrivés en 1632 et aux 200 de 1633 (Trudel, M. Histoire de la
Nouvelle-France, Fides, 1983, pp. 5-6). La plupart étaient des soldats,
officiers d'administration, interprètes, engagés, des Jésuites et leurs aides.
La plupart séjournaient et résidaient au fort Saint-Louis, au magasin des Cent
Associés à la basse-ville ou encore dans les résidences des Jésuites et des
Récollets à la rivière Saint-Charles.
Pendant que Giffard, son épouse Marie Regnouard et ses deux enfants furent
accueillis au fort Saint-Louis, les Guyon, les Bélanger, les Boucher
dormirent sans doute cette première nuit dans les baraques attenantes au
magasin des Cent Associés.
Dans les jours suivants, François, Jean Guyon, Zacharie Cloutier
s'installèrent à la seigneurie de Beauport qui s'additionnait aux trois
autres seigneuries concédées antérieurement : celle du Sault-au-Mathelot à
Louis Hébert (1626), celle de Notre-Dame des-Anges aux Jésuites (1626), et
celle de Trois-Rivières aux Jésuites 1634). François participa
certainement aux premiers travaux de la seigneurie. Une première maison
construite en 1634, distincte du manoir érigé en 1642, logea les premiers
censitaires. Non loin de celle-ci, un moulin, sans doute à vent pour faire des
planches, fut également construit. À ces travaux, s'ajoutaient le défrichement,
le labour, l'ensemencement. Les efforts de la jeune colonie, au cours des
années 1634-1636, furent récompensés si l'on en juge par ce témoignage du Père
Le Jeune dans les Relations des Jésuites de 1636 :
" Le sieur Giffard, qui n'a défriché que durant deux ans,
et encor laissant plusieurs souches, espère recueillir cette année Si son bled
correspond à celui qu'il monstre maintenant, pour nourrir vint personnes; dès
l'an passé, il recueillit huit poinçons de fourment, deux poinçons de pois,
trois poinçons de bled d'inde; et tout cela au moyen des sept hommes qui ont
encore été bien divertis à bastir, à faire des foins, et à d'autres
manufactures…. "
Ce temps des moissons
était aussi le temps des amours puisqu'en juillet 1636, François Bellenger et
Marie Guyon ainsi que Robert Drouin et Anne Cloutier signèrent à la seigneurie
de Beauport, en présence de Robert Giffard, leur contrat de mariage rédigé par
Jean Guyon qui, pour la circonstance, devint notaire.